True Detective saison 2 : la fin du héros solitaire

Impossible paternité

Pour ces personnages, il est donc question au cours de cette saison de réparer les souffrances causées par l'abandon de leur Créateur. Comme bon nombre de fictions américaines de tradition judéo-chrétienne, rien de nouveau à l'horizon, si ce n'est une volonté de s'inscrire dans le prolongement de la saison 1 qui abordait déjà le poids de la figure du père, à travers le deuil de Rust Cohle et l'irresponsabilité familiale de Marty Hart. Pizzolatto, en filigrane de ses intrigues policières existentialistes, développe un véritable roman télévisé autour de la difficulté d'être père. Dans cette deuxième saison, le thème de la paternité est ainsi exploité dans toutes ses déclinaisons possibles. Le père/créateur a été corrompu par le mal (violence, aveuglement, maltraitance, abandon) et chaque personnage va tenter d'échapper à la transmission de ce mal d'une manière ou d'une autre pour aboutir à une forme de rédemption. C'est également un meurtre quasi-œdipien qui marque le point initial de l'intrigue ainsi que sa conclusion: celui du personnage «macguffinesque» de Ben Casper.

"Les actes décrivent une trajectoire" (Ray Velchoro, épisode 8)

Selon Ray Velchoro, les actions commises par l'homme justifient la vie qu'il mène et amorcent sa destinée. En effet, chaque personnage de cette saison a embrassé la solitude comme conséquence de la violence, qu'elle ait été subie ou commise et va en payer le prix. Le Loup des Steppes, roman d'Hermann Hesse, décrit l'existence d'un instinct primitif de solitude enfoui dans le cœur de l'homme, qui entre en conflit avec un besoin d'appartenance à la meute sociale pour survivre. Marginaux par choix de vie, les quatre personnages de True Detective sont en inadéquation avec cet esprit de meute. Leur regroupement au début de l'enquête est froid, maladroit; la dynamique de groupe ne fonctionne pas et ils ne cherchent pas à l'améliorer (certains d'entre eux ne se croiseront jamais au cours des huit épisodes de la seconde saison). Cependant, ils ne peuvent se détacher totalement de la notion de groupe sans se mettre en danger et c'est finalement ce qui aura raison de Woodrugh, Velcoro et Semyon. Même préparé au pire, un loup solitaire ne fait pas le poids face à une meute organisée. Frêle lueur d'optimisme, le season final nous montre les deux seuls protagonistes restants, Ani Bezzerides et Jordan (l'épouse de Frank), s'enfuyant vers de nouveaux horizons avec un nouveau-né dans les bras, abandonnant le poids de leur passé en laissant la responsabilité de l'enquête entre les mains d'un journaliste. Les pères ont échoué mais les enfants doivent continuer à aller de l'avant.

Volontairement éloigné de l'esprit buddy-movie de la première saison, dans laquelle l'amitié entre Rust Cohle et Marty Hart permettait aux deux héros de triompher de Carcosa et de trouver le salut, Nic Pizzolatto nous confronte ici avec sécheresse à l'individualisme et au manque de transparence régnant dans les grandes villes et qui se répercutent sur leurs habitants. Ses héros choisissent la solitude face au crime mais, dépourvus de soutien, ils luttent désespérément face à un système qui possède toujours un coup d'avance. La monstruosité de la métropole californienne - sorte de Carcosa moderne - et de ses représentants nous est montrée comme un fait perpétuel et immuable. La loi, impuissante, reflète l'incapacité des pères à agir dans un univers dépourvu de justice, et montre à quel point leur devoir de transmission est futile. Car au final, que peut-on laisser en héritage à ses enfants dans un monde qui ne sait plus protéger ses individus ?

Julia Fernandez