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L'importance de clarifier ce qui fait l'essence du format sériel



À première vue, il n'est pas compliqué de définir ce que l'on veut entendre lorsque l'on parle de séries. On pense en effet immédiatement à des œuvres de références comme Breaking Bad, Lost, Friends, Black Mirror, The Wire. Pourtant, les cinq séries que je viens de citer sont substantiellement très différentes et il demeure de nombreuses interrogations dans la façon dont les séries sont catégorisées. S'il ne fait aucun doute aujourd'hui que la série est un medium émergent, il me semble essentiel de tenter de définir précisément ce qu’est une forme sérielle sans faire d'amalgames. 

Ces dernières années, on entend en effet beaucoup le terme de long films qui viendrait substituer la traditionnelle mini-série. Cette appellation est notamment portée par certains créateurs qui ne font pas des séries (parce que quand même, ils ont une réputation à tenir !) mais en réalité des six-hour-movie (ça claque plus après tout). Vous avez certainement déjà entendu ce terme, rien que dans ces derniers jours, Ewan McGregor a expliqué qu'il considère Obi-Wan Kenobi comme un long film découpé en épisodes. Lors de la présentation de The Falcon and The Winter Soldier par Kevin Feige, celui-ci insistait particulièrement sur la nature non sérielle de cette dernière (c'est d'ailleurs assez ironique quand l'on pense que les productions Marvel ont elles-mêmes été dénigrées comme n'étant pas dignes de porter le sceau sacré de l'œuvre cinématographique). Autre exemple encore plus révélateur, dans une interview donnée par Hugh Grant au LA Time, celui-ci affirme "qu'il considère The Undoing comme un film et il refuse même d'admettre que c'est une série". Les raisons ? Il avait reçu tous les scripts avant de commencer à tourner et savait donc où aller son personnage et The Undoing était cohérente car elle ne changeait pas à chaque épisode de réalisateurs. Cette confusion et ces idées préconçues sur la série sont notamment dues à une explosion des mini-séries qui attirent des acteurs qui auraient été plus enclins à travailler dans le cinéma auparavant. Cela brouille ainsi certaines pistes sur la définition de chaque médium, car certaines œuvres disposent d'une nature hybride et empruntent à différentes formes artistiques. La distinction entre séries et films est notamment compliquée par le fait que la catégorisation mise en place par le passé, ce qui sort au cinéma est du domaine du film, ce qui sort à la télévision se rapproche de la série (ou du téléfilm) n'est plus utilisable aujourd'hui. Ainsi, l'œuvre de Ryusuke Hamaguchi, Senses a été promue comme "la première série au cinéma" car elle est composée de 5 chapitres diffusés en l'espace de 3 semaines dans les salles obscures en France. Libertad de son côté est sortie le même jour au cinéma en Espagne comme un film de 135 minutes ainsi que sur la plateforme Moviestar+ comme une mini-série de 5 épisodes. Dans certains cas, la différence entre séries et films est donc particulièrement compliquée à trancher avec objectivité. 

Reconnaissons tout d'abord que le débat est assez symbolique. Finalement si l'œuvre est de qualité : quel est l'intérêt de se demander si c'est un film, une série ou tant qu'on y est, une poésie visuelle composée en chapitres ? Eh bien ma réponse, c'est que le débat a sens, car il montre que les œuvres sérielles ne sont pas aussi simples à définir comme telles car la définition de la série n'est pas source de consensus (par exemple à titre personnel je privilégie l'appellation "série" à celle de "série télévisée" car je la considère indépendante du dispositif télévisuel qui l'a vue naître). Sur Spin-off, on doit également régulièrement se poser la question de savoir quelles œuvres ajouter sur notre site et on s'est souvent rendu compte qu'il n'est pas toujours facile de définir ce qui a sa place ou non. Finalement, on a fait le choix d'exclure certains genres spécifiques qui ont pourtant une forme sérielle (les soaps et animés japonais notamment) tout en acceptant quelques exceptions, notamment pour pouvoir contenir le flux de contenu qui est produit chaque année. La notion de série étant assez mal fixée, je me propose donc d'essayer de réfléchir sur les éléments objectifs et subjectifs qui font son essence alors que les séries ont grandement évolué à travers le temps.

La forme sérielle a en effet connu tout au long de son histoire des importants changements qui peuvent rendre son identification parfois ardue. L'un des évolutions la plus marquante est la réduction du nombre d'épisodes produits chaque saison. Alors que CBS commandait environ 40 épisodes de Gunsmoke dans les années 1950, le chiffre a continuellement baissé et aujourd'hui il est de moins en moins commun d'avoir des saisons qui dépassent les 10 épisodes. C'est une évolution substantielle, car cela implique d'utiliser de nouveaux procédés scénaristiques par rapport à ceux utilisés lorsque le récit était construit en 22 épisodes, comme c'était la norme, il y a peine 15 ans. Si on rajoute à cela la croissance importante des mini-séries et une tendance des serveurs de streaming a annulé leurs séries plus rapidement, le format sériel a sans aucun doute particulièrement changé tout au long de son histoire.

Le terme série est tout d'abord porteur de confusion, car il est polysémique et qu'il renvoie à des programmes a priori très différents. En anglais, le mot series désigne traditionnellement une suite de programmes sans distinction de genre. Un documentaire en plusieurs épisodes, une émission de téléréalité (reality show) ou un journal d'information télévisé peuvent ainsi être considérés comme une série. D'un point de vue objectif, on peut donc énoncer que n'importe quel programme qui dispose d'au moins 2 ou 3 épisodes diffusés durant la même année, peu importe son genre et qui est relié par une thématique, par des auteurs, par des personnages, par un processus créatif spécifique constants dans l'esprit des spectateurs est une série. Selon cette définition très large de la série, on peut donc considérer que des programmes aussi différents que le late night Saturday Night Live, la quotidienne de TF1 Demain nous appartient, l'animé japonais Death Note ou la série Twin Peaks (n'en déplaise aux Cahiers du Cinéma) sont objectivement des séries. Il ne nous échappera cependant pas que ces programmes sont très différents et pour cette raison d'autres distinctions doivent être réalisées au sein même du format série.

Premièrement, il est essentiel de distinguer les séries non scénarisées (unscripted series en anglais) des œuvres disposant d'un scénario (scripted series). Dans cette dernière catégorie, plusieurs genres répondent eux-mêmes à des caractéristiques narratives et esthétiques précises. On peut même soutenir que certains genres sériels se sont dans un certains sens émancipés, car ils disposent de codes narratifs qui leur sont propres. Ainsi, je me considère sériephile mais je n'ai jamais suivi de quotidiennes, de soap et très peu d'animés japonais, car la construction personnelle (par ailleurs très américanisée) de mon rapport aux séries légitime certaines catégories par rapport à d'autres. Face à ce constat que nous connaissons tous puisque personne n'est capable de voir tout ce que le genre sériel a à nous offrir, il est nous est utile de catégoriser. Ainsi le drama, la comédie, la dramédie, la mini-série, la shortcom (format de moins de 10 minutes) ou l'anthologie sont ainsi des genres sériels que nous pouvons redécouper en sous-catégories comme les séries historiques, judiciaires, policières, médicales, fantastiques (…) ou les soaps ou les sitcoms (single camera ou multi-caméra). Selon la définition retenue ci-dessus, des suites de films comme Harry Potter, Le Seigneur des anneaux ou même les films de l'univers Marvel pourraient être considérés comme des séries. Une définition objective n'est donc pas totalement satisfaisante même si on peut argumenter que l'on retrouve certains éléments sériels dans ces films qui se différencient néanmoins par leurs longueurs, peu de séries comportent des épisodes d'une durée moyenne de plus de 1 h 40 et par la fréquence de leurs diffusions, on part du principe qu'une série dispose d'au moins 3 ou 4 épisodes par saison et pas seulement d'un unitaire chaque année (ou tous les deux ans).  

Nous avons vu un critère objectif, mais face aux pluralismes du format sériel, j'aimerais également ajouter un critère subjectif qui est pour sa part plus compliqué à définir. En tant que sériephile nous avons en effet construit un rapport particulier avec le format que nous affectionnons. Celui-ci se manifeste notamment grâce à des codes narratifs d'écritures spécifiques, son découpage particulier organisé autour d'actes, de cliffhangers, d'arcs narratifs, de développement sur le long terme de personnages que nous apprenons à connaître au fil du temps qui sont très éloignés de ce que l'on peut retrouver dans un film. C'est une des raisons que l'argument du long film a tendance à hérisser mon cœur de sériephile, car on ne peut pas écrire une série comme si elle n'était qu'un film étendu sur plusieurs heures. Pour faire une bonne série, il est nécessaire de comprendre comment fonctionne une narration sur le long terme.

On a également cette division classique selon laquelle la série serait avant tout l'art de la narration, tandis que le long-métrage serait le pré carré du metteur en scène. Une affirmation que je partage dans un certains sens (les réalisateurs de films ont généralement beaucoup plus de temps à consacrer à leur œuvre que les réalisateurs de séries, qui doivent travailler plus rapidement, car le calendrier est plus chargé), mais que je nuance lorsqu'elle est utilisée pour dénigrer l'appartenance d'une œuvre au genre sériel. Ainsi, une série particulièrement bien réalisée qui casse certains codes narratifs traditionnels de la série comme Twin Peaks, Homecoming ou The Girlfriend Experience ne sont pas des long films pour autant. L'esthétique sérielle est en effet actuellement tout aussi ambitieuse, car elle a su s'autonomiser du cadre restreint d'un dispositif purement télévisuel.

Il est néanmoins nécessaire d'admettre que certaines œuvres sérielles sont par nature des œuvres hybrides, puisqu'elles empruntent à d'autres médiums des éléments de natures objectifs ou subjectifs. Ainsi, le fait que le premier épisode de Small Axe a une durée de plus de 2 heures est un élément qui peut révéler son hybridité ainsi qu'un nombre très peu élevé d'épisodes a fortiori pour les séries limitées (4 épisodes seulement pour When They See Us). Le fait que certaines séries soit mises en scène et écrites par des personnalité habitués au cinéma peut également brouiller les pistes, d'autant plus lorsque l'auteur lui-même, déclare qu'il produit un long film. C'est un problème car on peut se retrouver face à des séries qui le sont objectivement car découpées en épisodes mais qui subjectivement, sont clairement une idée de long-métrage qui a été coupée arbitrairement sous formes d'épisodes sans que cela impacte la réflexion du déroulement du récit. Jouer avec la forme sérielle n'est pourtant pas toujours une entreprise sans fondement. Les anthologies qui changent de personnages chaque épisode (The Twilight Zone ou Black Mirror) ou chaque saison (True Detective ou American Horror Story) peuvent ainsi être considérées comme hybride, car elles ne s'appuient pas sur des règles de continuité qui font l'essence de la forme sérielle. De même, pour certaines catégories sérielles comme les dramatiques diffusées en direct qui étaient dominantes dans les années 1950 ou les sitcoms qui sont aussi très influencées par le théâtre. Les épisodes interactifs de Black Mirror ou d'Unbreakable Kimmy Schmidt rendus possible grâce au streaming sont quant à eux au croisement avec les jeux vidéos (et on ne parle même de la grande influence des livres, voire même des podcasts sur le genre sériel). Dans le sens contraire, on peut également dire que certains films, notamment ceux cités plus haut, ont une nature hybride, car ils empruntent certains éléments au format sériel.

L'hybridité d'une œuvre permet ainsi à un médium de se développer, de dépasser des limites préalablement fixées et de continuer à renouveler ses formes créatives. Le fait que la série s'inspire d'autres formes d'art est donc positif à son évolution, même si on peut par ailleurs critiquer certaines mini-séries qui se construisent sans réflexion purement sérielle et qui auraient sans doutes plus de sens dans un format unitaire de 2 heures. Il est ainsi nécessaire de se rendre compte que la série est une forme d'art à part entière qui nécessite d'être traitée comme telle et qui n'a pas besoin d'être artificiellement légitimée par une supériorité socialement construite d'un autre médium. La série répond en effet à des besoins différents et disposent de ses propres forces et spécificités que le cinéma ne peut pas reproduire et réciproquement. Au bout du compte, que Small Axe soit une collection de films ou une mini-série n'est qu'une question d'interprétation et il est inutile de la trancher catégoriquement. Ce qui est important néanmoins est de clarifier la définition du médium sériel (en constante évolution) afin qu'il ne soit plus labelliser comme une sous-forme artistique auquel on fixe des limites basées sur une conception de la série qui date d'il y a 30 ans.



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INFORMATIONS
Date : 21/05/2022 à 12:18
Auteur :
Tags : clarifier format série long film twin peaks small axe
Fiche série : Breaking Bad, The Wire, Twin Peaks, Black Mirror, Small Axe
Catégorie : Spin-Off
Sous-Catégorie : Dossier



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