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Le créateur d'Odysseus répond à nos questions



Frédéric Azémar, le créateur d'Odysseus a eu la gentillesse de répondre à nos questions avant la diffusion de la série à partir de jeudi à 20h50 sur Arte. Voici ses réponses.

Spin-Off.fr : Pour ceux qui ne te connaîtraient pas, peux-tu te présenter et parler de ton travail de scénariste avant Odysseus ?
Frédéric Azémar : Je suis scénariste depuis maintenant onze ans. J'ai commencé par le dessin animé, dans lequel j'ai toujours un pied, mais je suis assez rapidement passé au prime. Pour cela je dois d'ailleurs remercier chaleureusement Robin Barataud, scénariste de télé à l'époque déjà bien établi, que j'ai rencontré sur le forum de scénario de Philippe Perret, et qui m'a proposé de me mettre en contact avec son agent Lise Arif, qui est devenu le mien (et qui l'est toujours). J'ai commencé par créer des concepts de séries, parce que c'est ce qui m'intéresse le plus, et puis j'ai rejoint l'atelier d'écriture d'Un Village Français à sa création. J'y suis resté pour les trois premières saisons, et je l'ai quitté quand Odysseus est entré en écriture. Au contact de Frédéric Krivine, j'ai appris énormément.

Tu fais également partie du collectif de scénaristes "Le SAS". Peux-tu nous expliquer de quoi il s'agit et quel est son objectif ?
Le SAS est un collectif de scénaristes que nous avons fondé en 2007 avec Benjamin Dupas, Fanny Herrero et Elsa Marpeau. Nous sommes aujourd'hui une petite quinzaine et nous nous réunissons deux fois par mois. Nous avons créé le SAS dans un esprit de compagnonnage, pour développer un langage commun (qui nous fait gagner un temps fou pendant l'écriture des projets sur lesquels nous nous retrouvons ensemble). Concrètement, nous faisons des retours collectifs sur des textes soumis par des membres du SAS, nous décortiquons des pilotes de séries, nous présentons aux autres des points de théorie dramaturgique qui nous intéressent et, depuis cette année, nous recevons des invités tous les mois, mais des gens qui n'ont rien à voir avec le métier: un psychiatre, un flic, une avocate spécialisée dans la criminalité en col blanc, un écrivain/réalisateur spécialiste des phénomènes communautaires, etc. Le SAS est une zone de confiance et d'entraide, extrêmement salutaire dans un métier généralement très solitaire. Et, depuis, d'autres collectifs ont émergé: Les Indélébiles, la Squadra, la Mafia Princess, A Suivre, le Watelier, etc.

Comment l'idée d'une série sur l'Odyssée d'Homère a-t-elle pris naissance ? Est-ce une idée de ta part, des producteurs, de Arte ? Si l'idée est venue de toi (ou d'un autre scénariste, d'ailleurs), est-ce qu'il a été difficile de convaincre producteurs et diffuseurs ?
Je voulais parler de la relation père/fils, sur un mode violent, extrême. Et plus précisément, je voulais traiter de ce moment où le fils, inévitablement, est déçu par le père, le lançant sur le chemin du meurtre symbolique. Et c'est à ce moment que je me suis souvenu de L'Odyssée, peut-être le premier livre que j'ai lu enfant, dans une version abrégée. L'absence d'Ulysse pendant vingt ans, alors que sur Ithaque grandissait Télémaque, m'a paru être un très bon moyen d'aborder ce sujet, puisqu'elle permet à Télémaque de grandir en idéalisant son père. La confrontation avec la réalité est alors d'autant plus violente. Grâce à Arnaud Jalbert, conseiller de programmes à Arte, j'ai pu obtenir un rendez-vous avec François Sauvagnargues, alors directeur de la fiction. Je lui ai pitché le projet, qui l'a intéressé. J'ai pris le temps de rédiger des arches narratives sur six épisodes, puisqu'à l'origine j'avais imaginé le parcours de Télémaque en quatre saisons de six épisodes, depuis les événements de L'Odyssée jusqu'à sa mort. Évidemment, seule la première saison aurait été une adaptation de L'Odyssée d'Homère, le reste tant une pure extrapolation centrée sur les rapports difficiles de Télémaque et de son père. Mes arches narratives ont convaincu François Sauvagnargues, et il a fallu ensuite trouver une prod. Plus précisément, choisir une prod, puisqu'elles étaient nombreuses à vouloir se positionner sur ce projet, qui enthousiasmait la chaîne. Le choix a été fait d'associer l'expérience de GMT Productions (notamment dans le film d'époque) avec la fougue de Making Prod, qui avait tout récemment produit Les Invincibles pour Arte. Mes interlocuteurs ont dès lors été Jean-Pierre Guérin, Christophe Valette, Matthieu Viala et Stéphane Drouet.
Pourquoi avoir voulu parler de l'Odyssée non pas du point de vue d'Ulysse, mais de sa famille et des siens qui l'attendent sur Ithaque ?
Ulysse, héros solaire qui vit des aventures événementielles, basées sur des rebondissements et des conflits externes, ne m'intéresse pas. Mais Télémaque, le héros lunaire complexé, torturé, inapte, emporté par les tourments de l'âme, est au contraire parfait pour engendrer du drama, genre dans lequel je me sens le plus à l'aise. Et, du coup, il devient un point central autour duquel s'agglomèrent de nombreux personnages lunaires eux aussi, empêchés d'une manière ou d'une autre: Mentor, guerrier prometteur mais transformé en nourrice par Ulysse, Cléa, l'ancienne aristocrate troyenne devenue esclave, Léocrite, le prétendant légaliste et bien sûr Pénélope, la mère sur-protectrice au bord de la folie. D'ailleurs, même quand Ulysse revient, il ne correspond pas à l'image que l'on s'en fait. Avec Télémaque, le spectateur est surpris de voir un Ulysse qui n'est pas conforme aux attentes. J'ai fait ce choix à la fois pour favoriser l'identification avec Télémaque, et pour pouvoir faire d'Ulysse un héros lunaire, hanté par son passé, par la guerre et les atrocités dont il est, au fond, responsable. Plus prosaïquement, rester à Ithaque était aussi un moyen d'avoir une arène dramatique unique, qui concentre et dynamise l'action. Accessoirement, cela a permis aux producteurs d'avoir un décor principal unique. Si j'étais venu les voir avec pour projet d'adapter les aventures d'Ulysse sur les mers, ils m'auraient sans doute claqué la porte au nez.

Beaucoup parlent de la série comme d'une tragédie grecque familiale. Était-ce une volonté de focaliser les histoires sur les personnages plutôt que sur l'action et la guerre ? Est-ce que le budget restreint y était pour quelque chose ?
Non, ni le budget ni aucune contrainte de prod ne m'a traversé l'esprit au moment de la conception de la série. Depuis la première étincelle, je savais que je voulais faire du drama, de la tragédie, et parler de la famille. Ce n'est que bien plus tard, au niveau des séquenciers, que nous avons commencé à réfléchir un peu plus précisément avec les producteurs sur ce que nous pouvions faire et ne pas faire. Dans la première version des textes, par exemple, l'épisode 4 montrait un Télémaque, parce qu'il avait abusé d'une substance interdite, envoyé agonisant à Sparte. Là, il rencontrait Ménélas dans son palais, et il en ramenait Ulysse, retenu prisonnier dans les souterrains spartiates. Évidemment, un seul épisode à Sparte, c'était impossible en termes de prod. Nous avons réécrit.

J'ai entendu que la série ne devait comporter que 6 épisodes au départ, mais que pour des raisons de rentabilité du tournage, la commande a été étendue à 12 épisodes. Est-ce que ça s'est réellement passé comme ça ? Est-ce que cela a eu un impact sur l'écriture de la série ?

Ça s'est réellement passé comme ça, et ça n'a pas eu d'impact sur les six premiers épisodes… si ce n'est qu'il a fallu gérer un peu différemment la transition entre le premier bloc et le second bloc. Ce qui se passe dans le second bloc suit à la fois des grandes directions que j'avais posées pour l'évolution de la relation entre Télémaque et son père et développe aussi des choses que je n'avais pas envisagées. Ce sont Olivier Kohn (Reporters, Le Tunnel) et Flore Kosinetz (Coeur Océan) qui ont écrit les arches narratives de ces six épisodes. Je crois qu'ils se sont beaucoup amusés à imaginer une suite à L'Odyssée d'Homère et ils ont en tout cas été très respectueux de mon propos et de ce que j'avais fixé comme point d'arrivée de ces douze épisodes.

La fiche technique de la série indique près d'une quinzaine de scénaristes pour la série complète. Comment l'écriture des épisodes s'est-elle divisée ? Y avait-il des ateliers d'écritures ? Est-ce que tu supervisais l'ensemble de l'écriture de la série ?
En gros, un scénariste ou duo de scénaristes par épisode. Pour les six premiers épisodes, j'ai constitué un atelier d'écriture avec certains de mes camarades du SAS, qui connaissaient parfaitement le projet et les motivations qui m'animaient bien longtemps avant que l'écriture ne commence. Nous avons travaillé pendant six mois pour préciser les arches narratives et les personnages, construire les épisodes et sortir les séquenciers. Ensuite nous avons dû reconnaître certains problèmes d'empathie, notamment sur Télémaque et nous avons décidé de travailler avec Frédéric Krivine pour remettre ces textes sur de bons rails. Je dois avouer que j'étais responsable de ce manque d'empathie. A l'époque j'étais persuadé que l'empathie était une facilité d'écriture et j'avais pour modèle des séries dont je pensais qu'elles ne s'abaissaient pas à prendre le spectateur par la main en termes d'identification au protagoniste. Grosse erreur ! Bref, Frédéric Krivine a réécrit le pilote et posé des bases de réécriture. Nous avons travaillé encore en atelier d'écriture, j'avais l'impression de me retrouver sur Un Village Français ! Comme toujours, c'est un plaisir de travailler avec Frédéric. Ce qu'on apprend à son contact est inestimable. Les six épisodes suivants ont été lancés alors que l'écriture des six premiers n'était pas terminée. Nous avons donc fait appel à Olivier Kohn et Flore Kosinetz pour écrire les arches narratives. Dès que j'ai terminé l'écriture de l'épisode 3, j'ai enchainé avec l'atelier d'écriture des épisode 7-12.

Autre fait assez étonnant, l'intégralité des 12 épisodes ont été réalisés par la même personne, Stéphane Giusti. Était-ce là aussi une volonté de la part des scénaristes et des producteurs ? Quels ont été les avantages (et peut-être aussi les inconvénients) d'une telle configuration ?
Je n'ai pas été consulté sur cette décision, et j'imagine que les producteurs avaient leurs raisons pour procéder de la sorte. Si vous leur posez la question, je suis sûr qu'ils vous répondront !

Nous avons du coup posé la question à Stéphane Drouet, producteur. Voici sa réponse :
Stéphane Drouet : Le choix de Stéphane Giusti pour réaliser les 12 épisodes s'est fait assez naturellement à partir du moment où Stéphane a commencé à s'impliquer dans le suivi de l'écriture bien en amont de la préparation du tournage. Il s'est investi aussi très tôt avec nous notamment dans le choix des décors, des costumes, du casting, pour l'intégralité de la série.  Il avait également un telle connaissance de L'Odyssée d'Homère que cela nous a paru pertinent et rassurant qu'il réalise tous les épisodes. Et comme nous savions dès le début que ce projet serait conçu comme une "mini-série bouclée", cela nous a permis de garder une cohérence et une unité artistique.

Est-ce que des scénaristes, toi compris, étaient présents lors du tournage ou Stéphane Giusti a eu carte blanche pour proposer sa propre vision des scénarios ?
Frédéric Azémar : Aucun scénariste n'a été présent sur le tournage et moi-même je ne suis passé que deux fois: d'abord pendant la prépa pour voir les décors, les costumes, les accessoires et rencontrer toute l'équipe, et ensuite une journée pendant le tournage.

Est-ce que les producteurs (Making Prod et GMT pour les français) et Arte sont intervenus dans l'écriture et ont apporté leur savoir-faire à la série ?
Dans le quotidien de l'écriture je n'avais à faire qu'à Making Prod, notamment Aurélie Meimon, alors directrice littéraire (et maintenant productrice chez Mademoiselle Films). Mais, évidemment, les retours de Making Prod sur les textes incorporaient ceux de GMT. Par ailleurs, il y a eu des réunions régulières avec la chaîne. Tout le monde est intervenu dans l'écriture, mais avec l'objectif de tirer le projet vers le haut, ce qui n'est pas toujours le cas avec les autres chaînes...

Il y a eu un assez bon retour suite à la diffusion des 6 premiers épisodes au Festival Séries Mania fin avril. Je suppose que ça a motivé toute l'équipe avant la diffusion sur Arte en fin de semaine ?
Ça fait plaisir d'avoir de bons retours, d'autant qu'ils semblent être unanimes : en gros les gens qui ont vu les premiers épisodes voient les défauts de la série (il y en a !), mais ils sont pris par l'histoire, les personnages et l'univers, et ils ne peuvent pas s'arrêter de regarder les épisodes. Le mot qui revient souvent, c'est "addictif". Pour une série, c'est plutôt pas mal !

Pourrais-tu nous parler de tes prochains projets ? As-tu des nouvelles concernant Un Écho, la mini-série "hommage" à Philip K. Dick que tu écris pour Arte ? Tu écris également un drama intitulé Haute Couture qui met en scène l’affrontement de l’art et de l’argent pour le contrôle du vêtement, où en est ce projet ?
Un Echo, que j'ai créé avec Quoc Dang Tran (Fais pas ci, fais pas ça, Kaboul Kitchen) et Florent Meyer (Odysseus, Plus Belle la Vie), se porte bien. Les synopsis ont été validés et nous avons attaqué les dialogues. Tout devrait être terminé pour la rentrée, et nous verrons alors si nous passons en phase de production… mais ça sent bon ! Quant à Haute Couture, je suis en train de terminer d'écrire le pilote. Il n'y a pas de chaîne pour le moment, je ne veux pas proposer ce projet tant que le pilote n'est pas écrit.

Enfin, que penses-tu de l'évolution du métier de scénariste en France ? A-t-il encore de beaux jours devant lui ?

Je suis extrêmement confiant dans l'avenir du métier, que je vois progressivement se professionnaliser. Le rôle des collectifs dans cette évolution est crucial: nous prenons conscience qu'il est vain de nous penser comme des individus isolés, en concurrence les uns avec les autres, et que nous avons tout à gagner à travailler ensemble en nous aidant mutuellement. Transmettre et diffuser la connaissance, les petits trucs des uns et des autres pour améliorer un texte, c'est ce qui permet au métier de devenir collectivement meilleur, et donc de tirer tout le monde vers le haut. La fiction française, en ce moment, est un champ de ruines, mais il y pousse quelques fleurs: Un Village français, Les Revenants, etc. Mes amis scénaristes et moi-même avons un peu le sentiment d'être les pionniers d'une nouvelle ère, où tout est possible. Nous verrons si l'avenir nous donne raison...


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INFORMATIONS
Date : 10/06/2013 à 14:17
Auteur :
Tags : odysseus arte frédéric azemar interview
Fiche série : Odysseus

Catégorie : Interview
Sous-Catégorie : Créateur



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