Putain De Série, le 30 Rock à la française ?

Aux Etats-Unis, l'exercice de mise en abime scénaristique a déjà connu ses heures de gloires, de Moonlighting à Studio 60. Mais cette envie des auteurs poursuit son chemin, et notamment à travers 30 Rock dont la 3ème saison sera lancée le 30 octobre prochain.

En ce lundi 20 octobre, MakingProd, une boite de production française, lance une websérie inspirée de cette tendance. Intitulée Putain de série (voir Site), elle met en scène un pool d'auteurs qui travaille sur un show à 39% de parts de marché. Il s'agit cependant toujours d'une prise de risque tant la réaction du public est difficile à évaluer. Va-t-il apprécier les petits soucis d'auteurs qui imaginent des histoires autour d'une table ? Nous avons posé cette question parmi d'autres aux producteurs qui étaient présents au festival Scénaristes en Série.

Stéphane Drouet : "On a fait des projections tests sur deux publics, les fans de séries et les autres. Nos intrigues ont touché les deux publics à la fois." Etonnant tant les références doivent paraitre obscures pour certains, de HBO à Showtime en passant par Tell Me You Love Me. "Nos références sont peut-être trop anglosaxones" s'interroge Matthieu Viala sans jamais douter de la qualité de sa série. "Aux USA, ils prennent le risque de références pointues" rajoute Stéphane Drouet. Difficile de contester cette remarque quand les univers ultra-référentiels de 30 Rock et de The Big Bang Theory rassemblent entre 6 et 9 millions de téléspectateurs aux Etats-Unis.

La série se compose de six personnages récurrents et rappelle assez 30 Rock, notamment la musique jazzie. D'un côté, il y a Jerry (François Bureloup), le producteur, dont le rôle n'a pas encore pris beaucoup d'importance au cours des cinq premiers épisodes. On sent bien qu'il n'en a rien à faire de l'aspect créatif et que seule l'audience l'intéresse. De l'autre, l'équipe des scénaristes :

• Dan (Jonathan Cohen) fait tout pour que ses auteurs observent un minimum de sérieux lors des réunions. Dans l'idée, c'est un mix entre Alexandre Astier dans Kaamelott, Ari Gold dans Entourage et Bruno Salomone dans Fais pas ci, fais pas ça. Il dirige avec Sofia le pool de scénaristes.
  
• Sofia (Sophie Le Tellier) est l'ex de Dan. C'est un peu la conscience tranquille de la bande. Cela ne devrait pas pourtant l'empêcher d'avoir des coups d'éclats. S'il fallait établir un injuste classement entre la performance des acteurs -la question étant : est-ce que Spin-Off doit s'imposer cette posture morale ?- on la placerait en première position.
• Abraham (Nathaniel Corcos), juif, prend tout reproche comme une insulte à sa religion. Il incarne le bouffon de service. Pour faire un parallèle qui ressemble à quelque chose, et bien il suffit d'imaginer Judah Friedlander -celui qui joue Frank, le geek de 30 Rock- avec une trentaine de kilos en moins. Mais avec les même blagues parfois peut-être lourdingues qui pourront en repousser certains. Pas nous.
• Milou (Philippe Sax) qui, à la place de la main droite, porte un crochet. "C'est en quelque sorte le symbole de toutes les choses que Daive Cohen [le scénariste] à connu en réunions" explique amusé Stéphane Drouet. Ce personnage a en charge l'humour noir, bien qu'il n'hésite pas à citer Lost et 24. Grossièrement, il pourrait faire penser à Brian (Mark Heap) de Spaced.
• Et enfin Clothilde (Amélie Ressigeac) dont on ne sait rien : elle parle trop bas pour que le téléspectateur l'entende. Et qu'on s'intéresse tout simplement à elle. Ce running gag particulièrement raté est l'un des rares défauts comiques de Putain de série. A moins d'être la fille de Charlot, ou de l'Haïtien dans Heroes, son salut devra passer par un violent +20DB.
  

De manière générale, l'interprétation des personnages est sincèrement enthousiasmante. Une réussite qu'il ne faut surtout pas dissocier de l'intelligence humoristique des dialogues et de la réalisation efficace, à la The Office. C'est du tac-o-tac et dès lors qu'une blague tombe à plat, une autre est là pour la sauver.

Alors, une chance pour la voir débarquer à la télé ? "Des chaînes sont intéressées, notamment une chaîne Belge" indique Stéphane Drouet. "Mais c'est le multi-support que l'on vise" réplique son collègue. Web, télé et mobile, le modèle économique de Putain de Série s'inscrit dans la révolution médiatique du moment. Avec une volonté de s'appuyer sur le placement de produit tout en l'empêchant de s'imposer sur l'éditorial.

Plus étonnant, "les remarques que l'on a reçu des chaînes françaises étaient 'Vous auriez pu aller plus loin'" lance Matthieu Viala. Il estime ce comportement symptomatique de la schizophrénie des diffuseurs. Car même si quelque chose leur plait, l'ombre de la ménagère plane et les empêche de prendre les risques nécessaires au renouvellement de la fiction hexagonale.

Difficile cependant d'en tirer des conclusions sur le long terme. Si l'entrée en matière est de qualité, les scénaristes de Putain de Série vont devoir batailler ferme pour se maintenir à ce niveau et confirmer qu'il s'agit bel et bien de la bonne surprise de ce début de saison. Une surprise française.