Il figure parmi les lecteurs les plus fidèles du site, mais aussi des plus érudits. Pol gornek a très certainement eu l'occasion d'éveiller votre esprit critique dans l'un de ses commentaires qu'il égraine, de temps à autre, sur les épisodes. Ses commentaires notamment sur Homeland vont à rebours d'une grande partie de la critique. Il en a publié une critique plus étayée sur son blog, Lucarne, et nous a autorisé à la reproduire.
La nouvelle série de Showtime, remake d’une série israélienne apparaît comme une curiosité tant elle provoque une espèce de consensus positif qui la place sur le podium des meilleures nouveautés de la rentrée. L’enthousiasme est monté crescendo comme ma perplexité devant une série qui, si elle ne provoquait aucun phénomène de rejet, ne justifiait pas autant d’éloges.
L’histoire : Un soldat (Damian Lewis) rentre au pays après huit ans de captivité (et aucun signe de vie). Une analyste (Claire Danes) est persuadée qu’il est devenu un agent dormant au service d’une cellule terroriste.
L’intrigue s’élève comme une bâtisse familière aux fondations bien connues des sériephiles. Si le courant artistique participe d’un même mouvement (la paranoïa liée à une menace terroriste, le post-9/11), l’assemblage accuse son côté “pièces rapportées” au détriment de l’homogénéité. Étouffée par ses pairs (24, Sleeper Cell, Rubicon), la série ne parvient jamais à s’extracter et convoque, par la force des choses, de vieux fantômes au lieu de se créer une identité propre. Elle plie sous le poids des références parce que sa volonté de bien faire impose, malgré elle, une uniformisation lié au thème (ou au genre). Ce principal reproche se diffuse pendant les six premiers épisodes, avant d’exploser par à coup, à mesure que le récit s’écroule comme un château de cartes.
En deux épisodes (01x07 - 01x08), les scénaristes vont détruire la série, renier ses principes fondateurs et transformer un récit maîtrisé techniquement en cheval fou. Malgré les défauts expliqués plus haut, Homeland demeurait logique dans ses intentions et fluide dans sa façon de les exploiter : cultiver l’ambiguïté autour du retour de Brody et des soupçons de Carrie. La déconstruction méthodique de la série fonctionne en deux temps : lever le doute sur la culpabilité de Brody (fin de l’épisode sept) et finalement la confirmer (fin de l’épisode huit).
Avec cet enchaînement, les scénaristes nous montrent qu’ils peuvent déjouer leur récit à loisir. Les informations importantes qu’ils délivrent sont marquées du sceau de la supercherie. Il ne s’agit pas de crédulité du spectateur ou de jouer sur les apparences ou la notion de perception (on n’est pas chez De Palma ou Argento) mais bien de corrompre délibérément le caractère fondamental de l’intrigue. A partir de ce moment précis, les auteurs nous annoncent que tout peut arriver, qu’aucune logique élémentaire ne tient la série, que l’agent double peut être triple, etc… Il n’existe aucun jeu possible entre l’intrigue et le spectateur ainsi dupé. S’ouvre alors une nouvelle série, faite de multiples coups de théâtre, ersatz de 24 (option taupe comprise). Le show devient grossier, acculé par un principe hyperbolique. A cette dérive inévitable, s’ajoutent un schématisme lourd (l’épisode flash-back, illustration du retournement de Brody), des évolutions difficilement compréhensibles (l’entrée de Brody en politique, sa transformation en kamikaze) ou trop pratiques (la chute psychologique de Carrie - surjouée façon actor’s studio).
Cet effondrement méthodique du récit et ses enjeux met en exergue d’autres petits défauts éparpillés ça et là. Pris indépendamment, ils ne sont pas préjudiciables, seulement agaçants. Mais leur multiplication au sein d’une série qui ne s’est jamais vraiment trouvée accentue l’exaspération générale. La place trop importante (imposante) accordée aux intrigues familiales (Saul et sa femme, les triangles successifs Brody-Jessica-Mike Brody-Carrie-Jessica) alourdissent le rythme et n’apporte rien. Un personnage comme Saul fonctionne bien mieux en autiste agent de la CIA (grande interprétation de Mandy Pantinkin). Une CIA d’ailleurs qui manque d’authenticité. Ses bureaux design, ses lumières tamisées, ses programmes informatiques aux belles petites animations décrivent une version glamourisée, loin du rigorisme de la série à exploiter son sujet sérieusement. A mille lieux de la vision austère, aseptisée et implacable de l’administration dans Rubicon. Cette dernière montrait avec talent le caractère besogneux, presque rudimentaire du métier d’analyste. Où c’est le papier qui prime et cette matière tangible et concrète évoque comme un parfum de vérité, un supplément d’âme. Ce que l’on trouve, tout juste esquissé, devant la ligne chronologique rassemblée par Saul chez Carrie (01x11). A côté des intrigues inutiles et encombrantes, se place les lignes narratives inutilisées ou vite évacuées : la difficulté de Brody à (re)trouver un équilibre sociale et la vie occidentale, la perte d’un agent infiltré, le couple de terroristes et surtout, la “résurrection” de Tom Walker.
J’aurai pu mentionner cet élément plus tôt mais à l’image de sa représentation dans la série, il a été eclipsé par une autre révélation (la nature de Brody). Cette information est importante parce qu’elle est symptomatique de la tournure qu’a pris la série. Le meurtre sous contrainte de Tom Walker par Brody entretenait l’ambiguïté du personnage tout en injectant une dose de culpabilité raisonnable. Il pouvait agir également comme boussole morale et présenter une thématique intéressante à exploiter. Mais les auteurs ont préféré abandonner cette idée pour une vision plus sûre et clinquante mais à la portée éphémère. A un travail de fond traité sur la longueur, la série applique une logique plus efficace et séduisante (et quelque part, à raison puisqu’elle a été renouvelé pour une seconde saison quand Rubicon fut annulée après sa première). Elle ressemble à 24 sur la fin, prisonnier, épuisé par son concept, sa critique de l’administration américaine et sa géopolitique peinait à exister face aux multiples rebondissements. Dans Homeland, cette idée est illustrée par la volonté des auteurs à occuper un espace sensationnaliste plutôt que la psyché malade d’un soldat et d’une analyste zélée (chose évacuée très rapidement de la série).Multiplier les coups de théâtre au lieu de creuser un sillon fertile et capables de générer de grands moments de solitudes malades.
En conclusion, jetons un dernier regard au season finale. Une belle synthèse du programme global établi depuis le pilot. Point de convergence des différentes storylines, les scénaristes réussissent leur numéro de jonglage, sans perdre une balle. Sur le principe de l’action (les épisodes précédents) / réaction, ils composent une succession de scènes qui fonctionneraient presque si leur perception n’était pas encombré d’un passif lourd et de ficelles grosses. Comme le suspense dans le bunker, difficile à tenir quand il s’agit de l’acteur principal d’une série renouvelée pour une seconde saison. Si la première défaillance (mécanique, un fil se détache dans la précipitation qui suit l’attaque du sniper) fait dans la prolongation du pauvre (ou du scénariste faignant), la seconde (humaine, un dialogue père / fille) joue une corde sensible évidente mais qui fonctionne grâce un travail préalable convaincant. Une même séquence en mode miroir au résultat opposé : un fil grossier (ce que la série a composé pendant sa seconde partie de saison) et un autre plus nuancé (par petites touches successives). La différence entre prendre son temps et se précipiter. Une impression souvent ressenti au cours de cette saison, celle d’une série schizophrène qui a voulu tenir une promesse, dissipée par un volte face pour faire place à une show survoltée, chargée en adrénaline (au sens : enchaînement des révélations / rebondissement, pas dans l’action) et devenue pauvre au fil du temps.
Que faut-il attendre pour la seconde saison ? Une nouvelle série. Sur le principe de la révolution lunaire, les auteurs sont parvenus, dans un mouvement circulaire, à redistribuer les cartes, ériger une nouvelle situation initiale, fonctionnant de façon presque autonome. Ils donnent la possibilité aux spectateurs de recomposer la première saison et remodeler, à leur convenance, le passé de la série. Car Homeland, saison 02, change ses fondamentaux. Il ne s’agit plus de traiter l’ambiguïté autour de la culpabilité mais l’agilité d’un espion à pénétrer la politique américaine. Une nouvelle promesse, que j’espère, les auteurs vont tenir jusqu’au bout, sans fausse note.
Pol gornek
« Äkta Människor : "J'ai écrit la première saison seul" | Le grand bilan de l'année 2023 : séries, épisodes, membres, choix de la rédaction » |