Chacun d’entre vous a déjà entendu parler des Borgia ; pourtant, ceux-ci ne figurent même pas dans les programmes d’histoire dispensés dans les collèges et les lycées français. La légende reste essentiellement dispensée par la littérature (Machiavel s’en est inspiré pour écrire Le Prince), par la pièce de Victor Hugo consacrée à Lucrèce et par le jeu Assassin’s Creed 2 (!).
Tout cela ne fait que rajouter à l’aura sulfureuse de la famille sans que le grand public ne sache véritablement de quoi il en retourne. Heureusement, la télévision est là pour vous éclairer ! Pas moins de deux séries sur le sujet ont vu le jour en 2011 : la première en avril dernier sur Showtime (The Borgias), la seconde sort ce mois-ci et est initiée par Canal plus.
Borgia, la série se consacre donc aux quatre membres de la famille les plus flamboyants, à la fin du XVème siècle à Rome, et à leur lutte sans merci pour le pouvoir : Rodrigo, futur pape Alexandre VI, et ses trois enfants naturels, Juan, Cesare et la jeune mais déjà belle Lucrezia.
Famille, sexe et politique : le cocktail idéal pour une série à gros budget ?
Difficile de juger une série sur ses deux premiers épisodes, tout le monde le répète ; c’est comme juger un roman sur son premier chapitre ou un film sur ses vingt premières minutes. Il n’empêche que ces cent premières minutes sont suffisantes pour se faire une idée du ton, de l’intrigue à venir, des personnages qui vont (ou non !) capter notre intérêt sur la saison ou la série entière.
Premier constat, qui va heurter mes oreilles durant toute la projection : Borgia est bien une production européenne, pour le meilleur sans doute (un budget plus élevé, des décors somptueux, un Tom Fontana en pleine forme) mais aussi pour le pire. Chaque pays coproducteur a semble-t-il imposé un acteur de sa nationalité dans le casting principal : Rodrigo Borgia est américain, ses fils sont français et anglais, sa fille russe et sa maîtresse italienne. Tom Fontana se défend de ce melting pot européen en affirmant avoir choisi les acteurs formant la famille Borgia pour leur « communion d’âmes » plus que pour l’authenticité de leur accent.
Le résultat est un peu indigeste et rappelle le pire de « l’europudding » (productions européennes à gros budget et casting cosmopolite, très en vogue dans les années 80-90), qui neutralise de manière regrettable les efforts de reconstitution faits sur les décors (Saint Pierre, la chapelle Sixtine) et sur la vie à la romaine au début de la Renaissance.
Le pape c’est sexy : fantasme du baroque vs réalité historique
Tout comme pour Les Tudors, on a ici affaire à une reconstitution ultra glamourisée de l’Histoire de la famille Borgia - les comparaisons entre les deux familles ne s’arrêtant pas là.
Malgré la fièvre qui s’empare de Rome lors de la canicule de l’été 1492, nos héros restent beaux, sexy et en pleine santé. La décadence de la Chrétienté est représentée de façon brillante et somptueuse ; quant à la corruption et la recherche du pouvoir caractéristiques de la famille Borgia, elles se révèlent à travers une violence sexuelle et physique hors du commun, parfois même insoutenable, mais présentée comme tout à fait normale pour l’époque et pour le rang de cette famille.
A l’époque, le pouvoir est entre les mains des hommes ; c’est un fait historique admis, a fortiori dans le cadre très masculin du Vatican. On était en droit néanmoins de s’attendre à mieux chez Tom Fontana que de voir les rôles féminins, malgré la qualité des comédiennes (les personnages de Lucrezia et Giuletta en particulier), réduits à ce point à de tels archétypes exempt de toute nuance. Les personnages féminins ne trouvent leur raison d’être dans la fiction qu’à travers un référent masculin (mère de, fille de, maîtresse de) ; lorsqu’elles y échappent, c’est pour investir le champ du cliché (sorcière ou prostituée).
Pire, leur vénalité n’a d’égale que leur luxure : les femmes soulèvent presque automatiquement leurs jupes au passage du fils aîné des Borgia, tandis que Rodrigo se permet de manipuler à volonté fille et maîtresse en leur distribuant négligemment quelques bijoux.
On peut cependant espérer que cette vision très restrictive de la femme ne soit qu’un raccourci scénaristique utilisé pour simplifier la présentation des relations entre les personnages et qu’une évolution moins caricaturale nous soit proposée dans la suite de la série.
Borgia reste une série honorable et même prometteuse, au sujet riche et à la signature prestigieuse ; loin du réalisme pointilleux d’Un village français ou même de Rome, Borgia est une peinture baroque et fantasmée des luttes sans merci pour la prise de pouvoir de Rome et de toute la papauté.
Les scènes dans la Chapelle Sixtine sublimement reconstituée évoqueront, pour ceux qui l’ont vu, Habemus Papam, le dernier Moretti, et il est assez frappant de voir en images, à plus de cinq cent ans d’intervalle, la persistance liturgique de la papauté. Néanmoins, mais c’est un goût très personnel, je ne peux m’empêcher de préférer le réalisme tragicomique de Moretti à la grosse machine européano-blockbusterienne de Canal + qui fait des Borgia une série prometteuse, mais un peu trop flamboyante pour être honnête.
Oriane Hurard
Diffusion sur Canal+ à partir du 10 octobre.
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